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INTERVIEW : THEO VILACEQUE, AUTEUR DE 'MONSEIGNEUR SAUCISSE' (300 kcal)

La Crème Fraîche

 

Interview de Theo Vilaceque en direct depuis les locaux de la Crème Fraîche pour la sortie de sa bande dessinée « Monseigneur Saucisse » (300 kcal)

La Crème Fraîche : Allez, petite question classique de début d'interview, Theo, histoire de se mettre dans le bain. Présente-nous ton parcours, pourquoi avoir voulu faire de la bande dessinée ?

Theo Vilaceque : J’ai toujours voulu raconter des histoires. J’ai commencé par le dessin. Pour moi, je pouvais tout raconter sur une feuille de dessin. Puis, je me suis dit que j’allais essayer la bande dessinée, et c’est quelque chose qui m’a beaucoup plu. Je suis un grand lecteur de BD depuis tout petit. Ça m’a énormément bercé. À mes yeux, c’est le meilleur médium pour raconter des histoires. Alors que les grands formats sont le meilleur vecteur pour raconter une émotion.

La Crème Fraîche : Pourquoi la bande dessinée spécifiquement par rapport à un autre médium ?

Theo Vilaceque : Tout simplement parce que c’est le plus rapide. Le cinéma ou la musique demande des moyens techniques et financiers. Alors qu’avec la bande dessinée, tu es tout seul chez toi, tu as ta feuille, ton stylo, tu balances ce qui te passe par la tête sur la feuille, ça sort, ça sort... Et tu peux faire ça avec 5 euros en poche. C’est surtout pour ça en fait. Ça coûte rien de faire de la BD.

 La Crème Fraîche : Du coup, depuis combien de temps tu t’es mis à dessiner des BD ?

Theo Vilaceque : J’ai commencé depuis tout petit. Et je me suis mis aux Beaux-Arts à partir de 2013. C’est là que ça a vraiment commencé disons. Un ancien des Beaux-Arts, qui s’appelle Elric, a repéré mon travail, qu’il aimait beaucoup. Il m’a un peu pris sous son aile. Je suis allé à Angoulême quelques années plus tard avec lui. Il m’a accueilli au sein d’un collectif international, Marsam. Et iI a publié quelques-uns de mes travaux dans son magazine. C’était mes premiers pas dans le milieu officiel de la BD. Et à côté de ça, j’ai fait de l’auto-édition indépendante qui s’est très très mal vendue… (rires)

La Crème Fraîche : T’as aussi fait d’autres livres, notamment Apophis, Florence & Ganymède.

Theo Vilaceque : En effet, j’ai publié récemment ce livre d’une douzaine de pages, qui témoigne de la fin du monde selon moi. Un mélange entre un roman graphique et un livre d’illustrations. C’est très expérimental. Les personnes qui l’ont lu doivent se compter sur les doigts de la main, je pense (rires).
Sinon, ma grosse série BD, à laquelle je tiens mais à laquelle personne n’accroche, car assez particulière, c’est ‘À tout jamais. C’est une œuvre que j’ai démarré au lycée et que j’aimerais accomplir jusqu’à ma mort. Je veux voir des piles et des piles de tomes d’À tout jamais. Tout en faisant évoluer mon trait suivant mon apprentissage graphique, et mon scénario, suivant mon humeur et ce que je vis. Depuis 2013, j’y vois une évolution qui m’intéresse. C’est une œuvre assez personnelle.

La Crème Fraîche : Tu viens de sortir le 3ème tome, c’est bien ça ?

Theo Vilaceque : Exact. Pour que vous compreniez mieux ma démarche : pendant 3 ans, je n’ai rien fait sur cette série, et en une semaine, j’en ai fait presque 100 pages. Je ne me fixe aucune règle, aucune limite. Je travaille dans la spontanéité la plus totale.

La Crème Fraîche : En parlant de spontanéité, tu as écrit et dessiné relativement rapidement cette BD, Monseigneur Saucisse. Entre notre rencontre où tu avais le premier chapitre et la version finale de 100 pages, il s’est passé un mois à peine.

Theo Vilaceque : Monseigneur Saucisse, c’est très particulier. Lorsque je l’ai commencé, je voulais seulement faire 2-3 pages parlant d’un gars qui, après avoir été banni, revient à Paris et se venge. Mais quand j’ai trouvé le design de mon héros, nommé Abdon (mon 3ème prénom ainsi que celui de mon grand-père), il m’a plu de suite. Finalement, il y a eu un chapitre entier avec cette histoire où il venge ses gosses… On ne va pas trop en parler, les gens liront (rires).
Je commençais à réfléchir à la suite de manière complètement floue. Puis, quand on s’est revu et que vous m’avez dit que vous étiez prêts à publier la suite, je me suis motivé. Le fait de collaborer avec des personnes comme vous, qui apprécient enfin ce que je fais en terme de BD sans être trop réticent, m’a permis de me lâcher et d’être totalement débridé. Ce n’est pas toujours le cas, mon univers pouvant être assez particulier. Les femmes sont assez réticentes notamment…

La Crème Fraîche : Cela tombe bien que tu abordes ce sujet. On allait y venir. Que répondrais-tu à des potentiels détraqueurs qui taxeraient tes BD comme des œuvres non-respectueuses envers les femmes ?

Theo Vilaceque : Je dois dire que j’ai beaucoup d’amies chez les féministes. Mais, entre nous, Monseigneur Saucisse n’est pas non plus irrespectueux. Il est vrai que le héros enfonce son bras dans sa femme pour s’en servir comme arme. Mais il ne pourrait pas faire ça s’il n’était pas fou amoureux de sa femme. C’est beaucoup d’amour surtout. J’aime beaucoup les femmes… (rires)
Pour revenir à ces histoires de féminisme, cela me fait beaucoup rire. Dès qu’il y a une œuvre un peu provoc’, certaines personnes peuvent très mal le prendre. J’ai pu avoir des discussions très sérieuses concernant ce sujet, mais au fond, c’est juste pour la déconne, j’adore me marrer. Ce n’est pas quelque chose qui m’affecte à vrai dire.
Après, mon lectorat est composé à 70% de femmes. Donc j’imagine qu’elles me comprennent mieux que ce que l’on pourrait penser... Peut-être voient-elles cette part de sensibilité en moi…

La Crème Fraîche : Au-delà du féminisme, tu franchis de nombreuses barrières du politiquement correct dans ton œuvre en général. Est-ce que c’est une volonté de choquer ?

Theo Vilaceque : Je ne crois pas qu’il y ait une volonté de provoc’ ou de faire chier. C’est ce qui me vient tout simplement. Le côté monarchique dans Monseigneur Saucisse, avec ce Abdon qui veut conquérir le monde, les femmes qui sont plus ou moins respectées suivant les points de vue, la politique, c’est juste des éléments qui me font marrer personnellement. Je le prends très à la légère. Mais ce n’est pas gratuit pour autant. Avant tout, quand je fais une BD, c’est pour moi. A chaque page que j’ai faite dans cette BD, je me suis marré. Je suis mon meilleur public. Mais je me dis que si je me fais marrer, peut-être qu’il y aura des personnes que ça fera rigoler également. C’est un peu une tentative de partage : que le lecteur soit réceptif ou non, je garde à l’esprit que l’essentiel, c’est que moi ça me fasse vibrer.

La Crème Fraîche : Tu dis travailler de manière très spontanée. Mais, concernant les différents personnages présents dans la BD, est-ce que tu as eu un petit temps de recherche ?

Theo Vilaceque : Alors, Knak-Man, c’est un personnage qui m’a été inspiré par un de mes très bons amis, Adrien. Je m’en suis rendu compte qu’après l’avoir créé. Mais, pour faire court, cet ami m’avait envoyé un jour une vidéo de lui en train de tapoter sur une escalope avec un Knacki. Je m’étais directement dit que ce concept était hallucinant et que je m’en servirai un jour dans une BD. D’où la naissance de Knak-Man. Je me suis même inspiré de sa manière de parler, avec ce flegme si particulier.
Le dragon, pour ne pas vous mentir, quand je l’ai créé, c’était juste un moyen de locomotion. Puis, c’est finalement devenu une sorte d’animal de compagnie. Et Victoria, la femme d’Abdon, qui garde une tête de pigeon, m’a très vite plu. Mais j’ai des tas d'autres personnages qui surgissent dans ma tête.

La Crème Fraîche : Et tu oublies ton antagoniste principal, ‘Jésus’.

Theo Vilaceque : Alors, ce n’est pas Jésus. Ce personnage incarne le mal absolu :  la fusion entre la semence d’un rat dans le fond d’un Candy-Up, d’une larme de tristesse absolue d’un enfant dont la mère a été tuée par une trottinette électrique et de l’eau de la Seine souillée. Le fruit ne peut être que le mal absolu. Après, effectivement, il y a une petite ressemblance avec un personnage historique, qui est Jésus de Nazareth… (rires).
C’est avant tout pour jouer avec l’image que les gens ont des représentations de la religion ou du sacré. Un homme barbu avec des cheveux longs n’est pas forcément notre sauveur Jésus. Ça peut aussi être le diable, le mal absolu. Les représentations du sacré sont propres à chacun. Mais encore une fois, c’était pour rigoler. Je prône la déconne. C’est très important aujourd’hui. Est-ce qu’on le reverra ? On ne sait pas. (rires)

La Crème Fraîche : Sacré teasing. Justement, que prépares-tu pour la suite de Monseigneur Saucisse ? Voire le prequel ?

Theo Vilaceque : Il y a beaucoup de choses qui fourmillent actuellement autour de la suite de Monseigneur Saucisse dans ma tête. Je pense en effet à une origin story sur Abdon et sa femme, la raison de leur bannissement et le meurtre de leurs enfants. Je songe aussi à l’enfance d’Abdon, son éducation, d’où il vient, pourquoi ces saucisses dans le nez. C’est quand même important. On peut déconner, mais il faut quand même que ça reste sérieux au niveau du background des personnages. J’y tiens énormément. J’aimerais aussi raconter sa rencontre avec sa femme, et puis ses deux enfants. Deux garçons. Je peux seulement vous dire ça.


La Crème Fraîche : Il y a en tout cas une volonté de ta part de continuer cette histoire sur plusieurs années encore.

Theo Vilaceque : Tout à fait. Ce n’est que le début de Monseigneur Saucisse. Concernant l’origin story, c’est peut-être même intéressant de la faire avant la sortie du tome 2. Je réfléchis à ça en ce moment. En tout cas, j’aimerais le développer sur plusieurs tomes de BD. Et j’aimerais aussi en faire un film, que ce soit un film d’animation ou live. Je tiens vraiment à ça. Le film retracerait la BD, mais pas que, sinon ça serait con (rires).
Je me suis beaucoup attaché à Monseigneur Saucisse. Je prends énormément de plaisir à dessiner ce personnage. Il fait comme parti de ma famille maintenant. C’est vraiment un très bon ami, même si on se dispute souvent (rires).

La Crème Fraîche : Tu évoquais une potentielle adaptation au cinéma, quel serait ton casting de rêve ?

Theo Vilaceque : Je n’y ai absolument pas pensé. Mais si je devais prendre des acteurs, je ne prendrais que des non-professionnels. Des personnes qui n’ont jamais été vus ailleurs. Tout doit rester très neuf autour de Monseigneur Saucisse. Il ne ressemble à aucune personne connue d’ailleurs.

La Crème Fraîche : Eh bien, c’est la boîte de production qui va être heureuse de cette nouvelle. 

Theo Vilaceque : Oh bah ça sera vous les gars, quand vous aurez développé la branche cinéma (rires). Mais c’est vrai que pour jouer Monseigneur Saucisse, il va falloir quelqu’un d’assez particulier. Faut que les saucisses puissent rentrer dans son nez. Voilà, il devra avoir un gros pif, c’est un début. On peut lancer les castings.

La Crème Fraîche : Le Gégé national (cf. Gérard Depardieu) ?

Theo Vilaceque : Gégé, à la limite, c’est vrai… Mais il aurait fallu qu’il soit un peu plus jeune. J’aurais aimé faire ça avec lui il y a quelques années, mais maintenant, je le vois un peu moins dans ce rôle-là. Même si cet acteur est celui dont le physique se rapproche le plus d’Abdon dans le paysage du cinéma français. Et puis, je ne suis pas sûr qu’il aime se faire tondre la tête, Gégé. Faut que je vois avec lui, je lui envoie un message tout à l’heure (rires).

La Crème Fraîche : Autre question célébrité. Tu cites plusieurs fois Emmanuel Macron dans le livre sans jamais le dessiner, pour quelle raison ?

Theo Vilaceque : Macron est un banquier et jamais de ma vie, je ne dessinerai un banquier. Plus sérieusement, je n’ai jamais suivi la politique. Ça ne m’intéresse absolument pas. C’est Manu, quoi. Pour moi, c’est juste le gars qui est là, à la tête du pays en ce moment. Il vaut autant que Chirac, Hollande... J’en ai rien à foutre, en fait.
Il décide de léguer ses pouvoirs à Monseigneur Saucisse, peut-être parce qu’il réalise que c’est mieux pour le pays d’être gouverné par un homme rempli d’amour, qui aime les saucisses, boire et faire la fête. C’est mon point de vue.

La Crème Fraîche : On va essayer de lui faire parvenir un exemplaire à l’Élysée !

Theo Vilaceque : Très bonne idée ! J’aimerai beaucoup en discuter avec lui. Monseigneur Saucisse est quand même le héros qui vient délivrer Paris du mal absolu. Il mérite les honneurs.

La Crème Fraîche : Pour revenir à une question plus 'sérieuse', comment différencierais-tu l'émotion transmise entre tes grands formats et tes BD ?

Theo Vilaceque : Quand je dessine en noir et blanc, notamment mes dessins à l’encre de chine pure, je crois qu’il y a beaucoup plus de tristesse et de noirceur qui s’en dégagent. C’est en tout cas mon ressenti quand je fais ces grands dessins : par exemple L’aîné (voir ci-dessous). Tandis que faire de la BD, et Monseigneur Saucisse notamment, c’est quelque chose qui me rend très joyeux comme si c’était la fête. Et cela se ressent, je peux y mettre plus de légèreté. Je pense que je suis très victime de mes humeurs et de fait, j’aime bien séparer les deux : gravité et légèreté.
La Crème Fraîche : Monseigneur Saucisse, ce héros pourtant jovial, aura-t-il quand même des grands moments de noirceur ?

Theo Vilaceque : Il y en a déjà quand même un peu. Regardez par exemple le background d’Abdon dont on parlait tout à l’heure. Ou même Knak-Man, qui pleure quand il perd son Knak, c’est horrible. C’est un moment dramatique énorme. Vous n’arrivez pas à vous projeter dedans peut-être, mais cette scène m’a beaucoup touché personnellement. Il est prêt à se tuer, quoi.
Je pense aussi à Buby-Ray quand il se prend de la merde plein la gueule. Il se fait ensuite écraser la gueule sur le sol. Sans pitié. Ça m’a fait beaucoup de peine. Je me suis demandé pourquoi je l’avais tué. Je regrette parfois la souffrance que je fais subir à mes personnages. J’ai souvent besoin de les tuer. Beaucoup de morts.
Si tu y regardes bien, il y a déjà de grands moments de tristesse, même si l’humour et la fête prédominent.

La Crème Fraîche : On termine avec une question un peu plus générique. Si tu devais citer des influences que ce soit en bande dessinée, littérature ou autres médias ?

Theo Vilaceque : Et bien par exemple, Monseigneur Saucisse, je l’ai dessiné en écoutant principalement Jacques Brel et Léo Ferré. L'album Et... Basta ! de Léo Ferré a tourné entre Les Marquises et des albums plus anciens de Brel. Le morceau Orly de Brel notamment, qui m’a fait pleurer comme beaucoup de monde. Ce côté ‘ça sent la bière, c’est la fête’ de Jacques Brel et cette tristesse des amoureux perdus qui finissent avec des têtes de pigeons : c’est l’état d’esprit qui était le mien quand je dessinais. C’est bel et bien le fond sonore derrière la création de Monseigneur Saucisse. Peut-être que ça ne se sent pas de suite, mais c’est une des influences majeures. Je conseille d’écouter Les Marquises en lisant ma BD. Quoique, plutôt une première lecture dans le silence total, puis une deuxième avec Les Marquises en fond.

La Crème Fraîche : LA BD OFFICIELLE DES SADBOYS QUI PLAIRA AUX FEMMES ET AUX ENFANTS D’ABORD ! ALLEZ PECHO CA.

Interview menée par Gabriel & Malo le 12 Octobre 2019

 

 


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